Monday, 26 July 2010

Libertés : la majorité doit protéger celles des minorités

Est-ce qu’il est temps que la lutte pour les droits de l’homme passe à un autre stade supérieur ? Au moins dans les pays démocratiques ?

Je pose la question parce qu’il me semble que la plupart des droits fondamentaux sont plus ou moins acquis de nos jours. Par cela je ne veux pas dire qu’on peut baisser la vigilance : acquis ou non, tout droit peut nous être retiré et il faut être prêt à le défendre. Mais je trouve qu’il y a d’autres droits que nous sommes loin d’avoir obtenus et pour les obtenir, il faut une lutte bien plus dure puisqu’elle se passera d’abord et surtout à l’intérieur de chacun d’entre nous.

Pour ce qui concerne les droits fondamentaux, prenons comme exemple la liberté d’expression, dont Sören Kierkegaard disait que c’est celle que les gens exigent pour compenser la liberté de pensée qu'ils préfèrent éviter. Kierkegaard n’avait peut-être pas tort, mais il me semble quand même que la liberté d’expression reste essentielle. Il faut pouvoir dire au pouvoir tout ce qu’on pense de lui, même si en face on ne nous écoute pas.

Il est donc important de défendre cette liberté. Si un journal danois publie des dessins de Mahomet, la presse française a le droit de les reproduire. Mais c’est là qu’on passe au prochain stade de la lutte pour les libertés. Car qui dit ‘droit’ ne dit pas ‘obligation’. Si on a le droit de mettre les dessins danois à la une de nos journaux, on a également le droit de dire ‘oui, d’accord, mais est-ce que cela aurait vraiment une utilité quelconque ? Ou est-ce que leur seul but est d’emmerder la minorité musulmane ? Si on se montrait moins mal élevés que les Danois et ne les publiait pas ?’

En fait, c’est là ce que je vois se définir la prochaine étape de l’évolution des droits de l’homme. On a établi le principe que c’est la majorité qui décide de la composition du gouvernement, c’est la majorité qui décide des lois, c’est la majorité qui donne à la société une forme à son image. C’est un énorme progrès qu’on en soit arrivé là, que ce ne soit plus quelques nobles et quelques ecclésiastiques qui prennent toutes ces décisions. Mais la prochaine étape est celle où la majorité qui se montre plus éclairé, et surtout plus généreuse, que la minorité dont elle a pris l’autorité. Bref, elle se montrera résolue à défendre les droits de la minorité, des minorités, aussi farouchement que les siens.

En France, elle comprendra que le souhait de 1800 femmes de porter le niqab est un droit à respecter, pas un abus à réprimer. En Angleterre, elle comprendra que la liberté d’expression ne s’applique pas uniquement à ceux dont les idées sont conformes aux notres. Rien ne serait plus facile que d’accorder des droits à ceux qui exprime nos propres idées ; le défi est d’accorder les mêmes droits à ceux qui nous interpellent, que ce soit des députés européens britanniques d’extrême droite invités à s’exprimer sur la BBC, ou des islamistes revendiquant un nouveau califat.

Ceci dit, agir contre des minorités minuscules ne coûte pas grand’ chose aux gouvernements et distrait bien leurs concitoyens d’autres questions, peut-être plus troublantes, telles que le chômage, la dégradation de nos services publiques ou les inégalités de nos sociétés. Peut-être que pour nous aussi c’est plus facile d’interdire le niqab ou nier le droit à la parole à des extrémistes que de faire face aux vraies difficultés de base auxquelles nous sommes confrontées.

La question est de savoir si ce sentiment de confort vaut ou non l’abandon de principes fondamentaux de la liberté universelle.

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