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Le 30 janvier 1972, des parachutistes anglais ont fait irruption dans la quartier du Bogside, dans la ville de Derry de l’Irlande du Nord. A la fin de l’après-midi, treize civils avaient été tués (un quatorzième est mort par la suite de ses blessures).
Le 30 janvier était un dimanche, et le jour est entré dans l’histoire sous le nom de ‘Bloody Sunday’.
Trente-huit ans plus tard, le 15 juin 2010, nous avons appris les conclusions d’une enquête menée par Lord Saville sur plus de dix ans, et qui a décidé que les victimes du 30 janvier avaient été tuées illégalement. Les parachutistes pourraient désormais se trouver poursuivis pour meurtre.
En 1972, l’IRA, l’armée irlandaise républicaine, était moribonde. Le soir même de ce dimanche-là, des centaines de jeunes hommes se portèrent volontaires, dont Martin McGuiness, aujourd’hui Premier Ministre Adjoint dans le gouvernement de l’Irlande du Nord. Ce renouveau de l’IRA garantit que les ‘Troubles’ allaient durer encore 25 ans et coûter la vie à 3500 personnes.
Il a fallu 38 ans pour en arriver là. Et le pire est que ce n’était même pas le premier ‘Bloody Sunday’ de l’histoire tragique de la présence anglaise en Irlande. Dimanche 21 Novembre 1920, l’IRA tua quatorze agents britanniques à Dublin. L’après-midi, des soldats ouvrirent le feu sur le public à un match de football Gaélique, en tuant quatorze civils – l’égalité du nombre était sans doute une coïncidence étant donné que les soldats tirèrent plus ou moins arbitrairement dans la foule. Les soir, trois prisonniers moururent assommés par des gardes qui empêchaient leur ‘tentative d’évasion.’
Mais ce genre d’événement n’est pas du tout limité à l’Irlande ou à l’impérialisme britannique. Pierre Vidal-Naquet, l’historien français mort en 2006, estimait qu’il y a eu des centaines de milliers de victimes de torture par l’armée pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie. L’impact de ces événements a été presqu’aussi dévastateur pour les soldats que pour leurs victimes. Un des cousins de ma femme est parti au service militaire jeune, joyeux et dynamique ; il est revenu terne, déprimé, suicidaire. Il est mort trop jeune, alcoolique, divorcé et ayant été incapable de se bâtir une carrière égale au potentiel qu’il avait affiché avant son départ en Algérie.
Dans un blog précédent j’avais parlé de la ressemblance des Anglais et les Français en 1940, surtout dans leur manque d’enthousiasme pour une nouvelle guerre si peu de temps après la fin de celle d’avant, si sanglante. J’avais écrit que ‘c’était le moment où deux empires tiraient à leur fin, deux empires qui n’avaient profité que marginalement à leur peuple.’ L’empire britannique à son plus haut point avait généré autour de 10 livres par an par personne, une somme infime.Il avait fourni le moyen de faire fortune à une très petite minorité ; c’était pourtant la vaste majorité qui avait souffert pendant la Grande guerre et qu’on appelait à de nouveaux sacrifices en 1940. Des sacrifices de la part de gens modestes, au nom de puissances impériales qui avaient tenu très peu de promesses à leur égard.
Ce n’était pas très inspirant, et cela explique, à mon avis, le manque d’engouement des soldats anglais et français en 1940 et les défaites qui s’ensuivirent.
Deux empires qui n’inspiraient plus grand’ chose chez leurs citoyens, et qui se comportaient avec brutalité envers leurs sujets. Une image pas très édifiante, plutôt à oublier aussi vite que possible qu’a fêter.
Il est donc curieux que dans les deux pays des hommes politiques et des historiens revendiquent un revalorisation de l’histoire impériale de leur nation, en montrant les bienfaits du colonialisme. En France, c’était la loi du 23 février 2005 imposant l’enseignement du ‘rôle positif de la colonisation française Outre-mer’. En Grande Bretagne, c’est la décision de notre nouveau gouvernement de donner à Niall Ferguson, historien révisionniste, la tâche de réformer l’enseignement de l’histoire dans les écoles anglaises avec le but de valoriser le rôle de la culture européenne et ses empires en façonnant la civilisation mondiale actuelle.
Il s’agit de deux empires dont la fin sanglante a suivi un échec militaire historique. Est-ce que certains de nos politiques sont si dépourvus d’idées nouvelles qu’ils doivent en chercher des anciennes dans une source aussi triste ?
C’était avec profond plaisir que j’ai appris que le grand Sarko allait nous honorer de sa présence, dans notre petite île britannique, vendredi dernier, lors de sa visite à notre beau premier ministre flambant neuf, David Cameron.
Ils se sont réunis pour commémorer l’Appel du 18 juin, lancé il y a soixante-dix ans par le Général de Gaulle. Celui-ci, comme tout le monde sait, sommait la France libre de continuer le combat aux côtés de Churchill et les Britanniques. De Gaulle et Churchill : rien ne fait plus plaisir que de voir deux géants du passé salués par deux grands hommes d'aujourd'hui.
Mais en attendant nous pouvons nous contenter de Cameron et Sarko.
Le curieux pour moi était de voir les parallèles entre les deux époques. L’Angleterre avait subi de coups très rudes, dont on craignait qu’ils s’avèrent mortels ; et est-ce qu’après deux matchs nuls en une semaine, l’Angleterre d’aujourd’hui ne se trouve pas face au même danger ? D’ailleurs, un de ses matchs nuls était avec les Etats Unis, où ces derniers ont montré qu’ils représentent une force croissante qui ne tardera peut-être pas à nous dépasser. Bref, exactement comme en 1940.
Quant à la France, alors et aujourd’hui, c’est le désarroi total. Une première rencontre indécisive a été suivie d’une défaite écrasante. La France, supérieure en force, s’est fait dominer par un adversaire plus agile, plus rapide dans la manœuvre, mieux organisé. Conséquence : c’est la déroute, la débâcle. Et comme en 40, aujourd’hui c’est l’effondrement qui s’ensuit. Anelka est exclu, ces co-équipiers se soulèvent contre cette décision, les conflits à l’intérieur du groupe, jusque-là occultés, explosent avec la colère et le départ de Robert Duverne.
Il est temps de s’organiser pour éviter une prise de pouvoir sur le foot français d’un nouveau Pétain. Il est temps de préparer la résistance. A quoi songe Sarko ? Il était déjà à Londres. Il aurait fallu lancer tout de suite un nouvel Appel aux Français.
Je viens de terminer un livre assez curieux, The Making of Modern Britain par Andrew Marr. L’auteur est présentateur à la BBC et le livre est en fait tiré d’une série télévisée qu’il avait consacrée à l’histoire de la Grande Bretagne au vingtième siècle. Livre de vulgarisation, bien sûr, mais bien conçu et bien écrit, il fournit de temps en temps des aperçus qui m’ont interpellé. C’était le cas, en particulier, de ce qu’il m’a appris sur l’idée assez mitigée que se faisait Churchill sur le comportement du soldat britannique pendant la deuxième guerre mondiale.
Or il est depuis longtemps à la mode chez les Anglo-Saxons de se moquer royalement de l’esprit martial français. Pour nous, la principale stratégie militaire française en face de l’ennemi est la capitulation. Nous nous racontons l’histoire du général Weygand qui, après la capitulation de mai 1940, avait annoncé qu’avant septembre, l’Angleterre aurait ‘le cou tordu comme un poulet’. Churchill répond dans un discours devenu célèbre : ‘some chicken’ (pause, quelques applaudissements) ; ‘some neck’ (délire dans la salle).
Remarquons au passage que Weygand parle de l’Angleterre, en oubliant que le Royaume Uni comporte trois autres nations. Et pourtant les Ecossais ne se lassent jamais de parler de leur ‘vieille alliance’ avec la France, dirigée bien sûr contre l’ennemi commun anglais. Quelle honte que certains Français ne semblent même pas faire la différence entre l’Angleterre et l’Ecosse (ceci dit, ce manque de respect envers les Ecossais est loin d’être ce qu’il y a de plus honteux dans la carrière de Weygand).
Donc le mythe veut que l’Angleterre (avec un certain soutien de l’Ecosse, du Pays de Galles, de l’Irlande du Nord, pour ne pas parler du Canada, de l’Australie, de l’Inde, et ainsi de suite) a soutenu seule le combat contre l’Allemagne hitlérienne de mai 1940 jusqu’en décembre 1941, moment de l’arrivée – tardive comme d’habitude – des Etats Unis dans la guerre.
Comme tous les mythes, il a sa part de vrai. La population civile, comme en France, a fait preuve d’un grand courage et a subi des privations et des souffrances réelles pour tenir jusqu’à la fin. Mais il a aussi sa part de faux. L’armée britannique s’est fait battre par des forces inférieures en nombre, allemandes en Afrique du Nord et japonaises à Singapour. Sir Alexander Cadogan, du Ministère des Affaires Etrangères, écrivit dans son journal de bord ‘Nos soldats sont des amateurs lamentables, en face de professionnels’ et ‘notre armée est un objet de dérision du monde entier.’
Il paraît que le soldat britannique n’était pas plus apte au combat aux années quarante que son homologue français. Tout ce qui séparait le destin des deux pays n’était peut-être que ce qui les séparait physiquement, l’obstacle a l'invasion que représentait la Manche.
Est-ce que cela devrait nous étonner ? Les deux pays étaient exsangues après la Grande Guerre, vingt ans auparavant. En Grande Bretagne, les hommes politiques disaient de cette guerre qu’elle allait nous amener ‘un pays digne de héros’. En fait ces héros avaient connu le chômage, la misère, même la faim. C’était le moment où deux empires tiraient à leur fin, deux empires qui n’avaient profité que marginalement à leur peuple. Et ces mêmes peuples devaient se lancer vers de nouveaux sacrifices avec enthousiasme ?
Pour moi ce n’est pas du tout étonnant que ce soit les Russes et les Américains qui ont mis de l’acharnement dans les combats. Les uns étaient aux abois, les autres avaient derrière eux une société en plein essor.
Il faut leur être reconnaissant de nous avoir sortis de nos difficultés mais je comprends entièrement ces pauvres poilus, ces pauvres Tommys, qui n’ont pas fait preuve d’un zèle égal au leur. Une fois par génération, des chefs les envoyaient au Calvaire au nom de structures impériales dépassées et qui ne profitaient de toute façon qu’à eux.
Ils en avaient franchement marre. Ils avaient raison.