Monday 31 May 2010

La presse anglaise et les malheurs d’un ministre gai

Qu’est-ce que ça bouge en Angleterre, mon beau pays d’ordinaire si calme, si conservateur.

Ça ne fait pas encore trois semaines que nous avons notre nouveau gouvernement Conservateur – Libéral Démocrate et pourtant il a déjà subi sa première perte : David Laws, ‘Chief Secretary to the Treasury’, a démissionné samedi.

Le Chief Secretary c’est le numéro deux du ‘Trésor’, le Ministère des Finances, seul ministère à avoir deux ministres au Cabinet. Notre pays de boutiquiers prend le fric au sérieux. Le rôle du Chief Secretary c’est de veiller au niveau des dépenses, ce qui équivaut dans la conjoncture actuelle à appliquer les réductions budgétaires profondes auxquelles nous nous attendons tous.

Or je ne sais que très peu sur David Laws et je ne suis pas du tout partisan de notre nouveau gouvernement. Ceci dit, Laws a la réputation d’être compétent et droit. Personnellement, j’aurais préféré qu’on lui donne au moins le temps de se prouver apte ou inapte avant de le chasser.

Pourquoi donc est-il parti ? Très simplement, parce qu’il est gai. Eh oui. Ce n’est ni illégale ni même condamné d’être gai en Angleterre de nos jours. Plusieurs ministres du dernier gouvernement l’étaient, au moins un du gouvernement actuel l’est. Quand un de nos quotidiens avait monté, il y a plus de dix ans, une campagne contre le premier de nos ministres à être ouvertement gai, le journal a été contraint à l'abandonner par le poids des opinions contraires exprimées par ses lecteurs dans un sondage qu’il avait organisé lui-même.

La différence pour Laws est qu’il avait voulu garder le secret sur sa sexualité. On peut critiquer ou approuver sa décision mais il me semble qu’il s’agit d’une décision qui revient uniquement à lui. Malheureusement, pour protéger le secret, au lieu d’établir un ménage officiel avec son conjoint et se faire rembourser les frais comme prévu par la réglementation parlementaire, il a présenté le conjoint comme propriétaire et s’est fait rembourser un soi-disant loyer. Tout indique que cette approche ne lui a pas valu un centime de plus que ce qu’il aurait eu de toute façon, et son but n’était que de garder le secret sur sa vie privée.

En France, évidemment, tout cela serait passé sans commentaires. Après tout, Félix Faure est mort dans les bras de sa maîtresse (magnifique le mot de Clémenceau faisant allusion à la manière de sa mort, ‘Il voulait être César, il ne fut que Pompée’). Et bien sûr Mazarine hantait l’Elysée pendant que son père naturel François Mitterand l’occupait sans que cela fasse scandale. Mais ici nous avons une presse très spéciale. L’un de ses représentants les plus toxiques est le Daily Mail qui a décidé de publier des ‘révélations’ sur le ‘cas’ Laws.

La pression médiatique a été intolérable. Laws a démissionné en tant que ministre, et selon des rumeurs il songerait même à démissionner en tant que député.

J’aimerais bien voir chuter ce gouvernement dirigé par un parti Conservateur dont les objectifs me semblent aussi pourris que toujours, les idées sociales aussi arriérées que jamais. Mais j’aimerais bien qu’on les renverse par des moyens politiques.

Quel dommage que leur première perte soit celle d’un homme apparemment honnête, cassé uniquement pour des causes liées à sa vie privée.

Wednesday 19 May 2010

Pour lui, malgré eux

Un fait historique : le 8 mai, Sarko tient un discours à Colmar où il défend l’image des ‘malgré nous’, la première fois qu’un président ait même eu l’idée de parler d’eux.

Qui étaient ces malgré nous ? C’étaient des jeunes hommes comme mon oncle par alliance René qui ont été enrôlé de force dans l’armée allemande pendant la deuxième guerre mondiale. Quand l’Allemagne s’appropria – où, de son point de vue, récupéra – l’Alsace et la Moselle, elle traita ces régions non pas comme des territoires français occupés, mais comme des provinces réintégrés au Reich. Par conséquent, les habitants étaient perçus comme citoyens de l’Allemagne et donc sujet à l’obligation du service militaire allemand.

Certains l’évitèrent, mais c’étaient les familles qui payaient le prix : elles se trouvèrent souvent déportées en Allemagne et bon nombre n’en revinrent jamais. Dans le cas de René, son frère ainé était parti et la police lui avait fait comprendre que rien ne se passerait si lui faisait son service, mais s’il partait à son tour, les choses irait très mal pour la famille. Il a donc passé la guerre à la Luftwaffe, fait que je trouve personnellement ironique, étant donné qu’à la même époque mon père était dans la RAF anglaise.

René m’a expliqué qu’il a dû employer toute son habileté pour pouvoir réussir les examens que la Luftwaffe lui imposait – l’alternative était le front de l’Est – sans faire de zèle excessif. Malheureusement, il n’a pas pu entièrement éviter le front de l’Est : à la fin de la guerre, les Allemands n’avaient presque plus d’avions, ni de carburant, et donc la Luftwaffe n’avait plus vraiment besoin de malgré nous. Le pauvre René s’est trouvé à Königsberg, l’actuel Kaliningrad russe, où il a participé à la déroute des troupes allemandes, et est rentré à pied jusqu’en Allemagne où il a eu la chance de se faire prendre prisonnier par les Américains.

Dans tout cela, René et les milliers d’autres malgré nous ont été des victimes des Allemands et pas des collaborateurs, et c’est ce que Sarkozy a reconnu lors de son discours de Colmar. ‘Les "malgré nous" ne furent pas des traitres’, a-t-il dit. ‘Ceux qui n'ont rien fait pour empêcher cette ignominie perpétrée contre des citoyens français ont trahi les valeurs de la France, l'ont déshonorée. Vichy a trahi la France et l'a déshonorée.’

La sœur de René et sa fille ont été touchées par ce discours. Curieusement, René lui-même l’était beaucoup moins. Ça le laissait indifférent. J’avais voulu écrire qu’il s’en foutait comme de l’an quarante, mais en fait l’an quarante compte pour beaucoup dans sa vie, puisque c’était le début de sa transformation en malgré nous.

Je me demande si son indifférence envers les beaux mots du Président exprimait le sentiment, que je partage, que ce n’étaient que de beaux mots ? Je ne veux pas du tout dévaluer la grandeur d’âme du Président, que je trouve parfaitement égale à sa grandeur physique, mais au prix de me faire prendre pour un cynique, je ne peux m’empêcher d’exprimer quelques légers soupçons concernant ses mobiles.

Après tout, c’est un discours qui risque de faire plaisir surtout en Alsace. Dans les autres régions, peu de gens sont au courant de l’histoire des malgré nous.

Et depuis les élection régionales récentes, l’Alsace est la seule région de France métropolitaine gérée par l’UMP, le parti du Président.

Coïncidence ? Où est-ce que Sarko veut assurer ses bases dans la seule région qui lui reste loyale ?

Thursday 13 May 2010

Les bons Samaritains aux temps qui courent

Je déteste ce fait divers qui revient avec peu de variantes de temps en temps dans les médias du pauvre – et il s’agit presque toujours d’un pauvre – qui reste des heures étendu sur le trottoir d’une de nos grandes villes pendant que des foules passent à côté sans se soucier de son sort.

En sortant donc de la Garde du Nord l’autre jour, et voyant un homme par terre près du parc à vélos, j’ai eu un moment de culpabilité aigüe. Un ivre qui couvait son vin ? Un sans-abri ? Un malade ? Peut-être même un mort. J’ai eu chaud. Après tout, les sans abri en général ont l’air de s’être vraiment couchés, étendus comme dans un lit, souvent couverts de quelque chose, ne fût-ce que de bouts de carton, faute d’une vieille couverture infecte. Un ivre se couche souvent la tête sur un bras, ou en tout cas protégée de quelque manière de la dureté directe du trottoir. Cependant, ce monsieur-là avait la joue aplati à même du goudron. Donc – s’agissait-il d’un malade ou même d’un mort ?

J’ai hésité à agir en continuant de marcher, et dans quelques instants j’avais tourné l’angle, je ne voyais plus le gisant, et ma culpabilité s’est intensifiée d’encore un cran. Et tout à coup – quel soulagement – j’ai vu un véritable attroupement de policiers. Il y avait visiblement eu un accident rue Lafayette ; deux voitures de pompiers était garé avec les gyrophares allumé ; cependant l’incident devait être plus ou moins clos, puisque les policiers – dont il y en avait sept ou huit – se parlaient entre eux, bavardant, se souriant, ne se souciant manifestement de rien.

Je m’approche d’eux.

‘Excusez-moi,’ leur dis-je. Les deux les plus proches me regardent, l’air contrarié, comme si j’interrompais un travail important.

‘J’ai vu un monsieur, là-bas, devant la gare, étendu par terre, peut-être ivre mais peut-être malade.’

‘On a un accident dont il faut qu’on s’occupe,’ a dit l’un des agents.

J’ai résisté à la tentation de regarder tous leurs collègues qui, de toute évidence, ne faisaient strictement rien.

‘Mais… il ne va peut-être pas très bien… il aurait peut-être besoin d’aide…’ ai-je dit de ma voix la plus respectueuse possible.

‘Il est ivre,’ dit l’autre agent, ‘c’est la Gare du Nord. Ce sont des ivres.’

C’est soulageant, n’est-ce pas, que nous pouvons compter sur une police aussi sensible au moindre problème troublant la vie de n’importe quel citoyen, aussi humble soit-il ? C’est un investissement sûr de l’argent du contribuable.

Et une belle illustration du fait que nos sociétés ont pris à cœur la parabole du Bon Samaritain.

Saturday 8 May 2010

Kehl, Strasbourg, le 8 mai

Ah, le 8 mai. Un jour qui me remplit de nostalgie. Jusqu’à 2006, nous habitions Kehl, petit bourg du Sud-ouest de l’Allemagne en face de Strasbourg de l’autre côté du Rhin, où nous espérons retourner un de ces beaux jours.

C’est une ville qui joue depuis longtemps un rôle important dans la vie française. D’ailleurs, elle a souvent été au moins en partie française : la France avait pendant longtemps un bastion côté allemand qui lui permettait de protéger l’accès au pont sur le Rhin qui menait en territoire français. Ce territoire, c’était l’Alsace, française à l’époque et à nouveau aujourd’hui mais longtemps convoitée par l’Allemagne, qui l’occupa deux fois entre 1870 et 1940.

Ce bastion était tombé un peu en désuétude à la fin du dix-huitième siècle mais, comme bon nombre de zones extraterritoriales, jouissait d’un statut particulier en droit français. C’est donc là que Beaumarchais, celui du Barbier de Séville et le Mariage de Figaro, a établi une presse où il pouvait éditer des textes controversés sans s’exposer à trop de risque de poursuite judiciaire. C’est ainsi que la première grande édition posthume des œuvres de Voltaire fut imprimée non en France, mais dans notre petit bourg allemand de Kehl.

C’était particulièrement drôle d’être à Kehl le 8 mai. J’ai l’impression que bon nombre de Français ignorent pourquoi le jour est férié. Ils font peut-être un amalgame entre le 8 et le jour de l’Ascension en supposant que ses origines sont religieuses, comme la plupart des fêtes de notre belle société laïque. En tout cas, j’ai souvent été étonné par le nombre de personnes même à Strasbourg, où la deuxième guerre mondiale a pesé lourd, qui apprennent avec surprise que le jour n’est pas férié en Allemagne.

‘Tu croyais donc que les Allemands fêteraient notre victoire sur leur pays ?’ je leur demande.

‘Ah bon ? Parce que c’est une victoire qu’on fête ? C’était pas le Brésil qu’on avait battu en finale en ’98 ?’

Mais ils ne sont pas bêtes ces Strasbourgeois, ils pigent vite.

‘Mais… si ce n’est pas férié chez vous, ça veut dire que les magasins sont ouverts ?’

Et ben oui. Les magasins sont ouverts à Kehl le 8 mai. Et des milliers de Français viennent s’approvisionner dans notre petit bourg.

Belle image, n’est-ce pas ? Les Français prêts à mettre à côté les difficultés d’autrefois, viennent faire des courses chez des Allemands prêts à tout oublier si ça leur permet d’alléger un peu le portefeuille de leurs visiteurs.

Avouons que des rencontres entre deux grands peuples sont mieux ainsi, commerciaux, que militaires comme à l’époque de nos grands parents. On y laisse des sous, soit, mais au moins on n’y laisse pas sa peau.

Par contre, je ne suis pas sûr que cela corresponde exactement aux idées de ceux qui ont fait du 8 mai un jour férié précisément pour commémorer la dernière fois que nous avons pu nous opposer avec succès à l’Allemagne.