Sunday, 28 February 2010

L'Etat et le gâchis de ses talents

Pendant la guerre – la deuxième, mondiale – ma mère a fait la connaissance d’un jeune réfugié juif de l’Europe de l’Est.

Comme bon nombre de Juifs de ce coin du monde, il était polyglotte. Il parlait, bien sûr, sa langue maternelle, le Yiddish. Il parlait, par pure nécessité, la langue de l’oppresseur. En l’occurrence, il s’agissait de deux langues puisque la géographie (ou faut-il parler plutôt d’histoire ?) à géométrie variable de la région avait comme conséquence des changements fréquents d’oppresseurs : il avait donc appris et le Russe et le Polonais. Et, étant donné qu’ils n’étaient jamais loin, il avait appris également à s’entretenir avec les Allemands.

De surcroît, le désir de tout son peuple de trouver un jour une terre d’asile l’avait poussé à apprendre en plus le Français et l’Anglais. Il maîtrisait donc six ou sept langues, et quand je dis ‘maîtriser’, je veux vraiment dire maîtriser : il ne s’agissait pas de connaissances rudimentaires, ne lui donnant que la capacité de se commander à manger dans un bistro.

Le fonctionnariat anglais l’a accueilli avec plaisir lorsqu’il est arrivé en Grande Bretagne. Mais loin de l’affecter au Ministère des Affaires Etrangères, ces chefs n’ont rien trouvé de mieux pour lui que le Ministère de l’Agriculture, l’Alimentation et la Pêche. Il s’y est ennuyé pendant toute la guerre.

On a parfois du mal à s’expliquer les critères animant la décision de nommer des gens à un poste plutôt qu’à un autre. Parfois, pourtant, on a beaucoup moins de mal – par exemple, pour comprendre la nomination de Mara Carfagna, ex-vedette de la porno soft, au poste de Ministre de l’Egalité en Italie, il suffit de réfléchir au caractère du chef du gouvernement et regarder la photo de la Ministre. Certaines photos, en tout cas.

En France, je me suis souvent demandé si Rachida Dati devait son bref passage au poste de Garde des Sceaux à des qualités intellectuelles, à sa compétence, plutôt qu’à des aspects peut-être moins utiles mais plus visibles. Moins utiles, en tout cas, pour l'administration de la justice.

Toutes ces belles questions me sont revenues à l’esprit cette semaine lorsque j’ai appris que Chantal Jouanno allait défendre son titre de championne de France en karaté par équipe. Une semaine plus tard, le 14, elle se présente en tête de liste UMP pour les élections régionales à Paris, ville qu’elle connaît évidemment à fond, ayant déclaré le 21 janvier qu’elle souhaitait voir automatisé la ligne 14 du Métro, automatisée depuis son ouverture en 1998.

Quand ses autres occupations le lui permettent, Jouanno occupe aussi un poste au gouvernement de Sarko-le-Grand.

Ce qui m’a le plus surpris chez elle, et qui m’a fait penser à l’ami de ma mère, était d’apprendre la fonction qu’elle joue au Gouvernement. Elle est secrétaire d'État chargée de l'Écologie.

L’Ecologie ? Une championne de Karaté ? Et pourquoi n’est-elle pas au Ministère de la Défense ? Autrefois, on décidait parfois l’issu des batailles par combat singulier. On sait, qu’en équipe en tout cas, elle est indomptable (en France, et au moins jusqu’à la semaine prochaine).

Quel gâchis. Mais le gaspillage des talents est vraiment une caractéristique essentielle, depuis toujours, de toutes les administrations publiques.

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