Wednesday, 25 August 2010

Les microbes, antidote à l’arrogance

L’être humain est beaucoup trop sûr de lui, en tant qu’espèce. Il est temps de mettre fin à notre arrogance, d’apprendre un peu d’humilité.

Pendant presqu’un milliard d’années, il n’y eut aucune trace de vie sur terre. Ensuite, il y a à peu près 3,8 milliards d’années, apparurent les premiers organismes vivants – tous des microbes. Pendant les trois milliards d’années suivantes, ils sont restés seuls sur terre (dans la mesure où on peut parler de ‘solitude’ dans le contexte d’un si grand nombre d’organismes, affichant une telle diversité). Quant à l’homme, cela ne fait que quelques centaines de milliers d’années que nous sommes là. Des parvenus, quoi, dans un monde qui appartient aux microbes.

D’ailleurs, la situation actuelle nous offre encore des preuves de cet état des choses. La masse totale des microbes sur terre aujourd’hui fait plus de 5000 fois le poids de l’humanité entière. Même à l’intérieur de chacun de nous, 90% des cellules dans nos corps sont des microbes. Les cellules qui sont proprement les nôtres ne constituent que les 10% restants.

C’est donc avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu ce matin les conclusions d’une équipe des scientifiques de la Lawrence Berkeley National Laboratory en Californie sur la disparition, apparemment quasi-miraculeuse, du pétrole versé dans le Golfe du Mexique par BP. Cette disparition était en réalité complètement naturelle est le fait de microbes pour lesquels le pétrole est une véritable friandise. Leur population s’est agrandi de façon spectaculaire depuis l’accident et ils réduisent de moitié la quantité de pétrole dans la mer tous les trois jours.

Si nous avons besoin d’une leçon d’humilité, en voilà une. Microbes, je vous salue. Je vous félicite de votre dévouement et du succès extraordinaire dont il a été couronné. Je vous remercie d’avoir si bien réparé les dégâts dont mon espèce a été responsable. Je suis désolé du dérangement que notre présence vous cause.

Surtout, ne vous inquiétez pas trop : étant donné notre façon de nous comporter, elle ne devrait pas vous gêner encore très longtemps.

Monday, 16 August 2010

L'anglais, langue internationale. Et ça aurait pu être pire

Si la France et l’Angleterre ont entretenu depuis des siècles une concurrence parfois sournoise, parfois ouverte et violente, la rivalité entre leurs langues a été tout aussi intense. Cependant, au grand dam de la France, la superpuissance Américaine semble avoir résolu le conflit linguistique entièrement en faveur de l’anglais. Au moins, pour le moment.

C’est dur à avaler, surtout étant donné la prédominance du français il n’y a que deux siècles et demi. A Berlin, quand Frédéric le Grand voulait se faire une réputation d’écrivain, il se mit à écrire en français et demanda à Voltaire de l’aider. Ecrire en allemand, c’eut été se borner à un monde essentiellement provincial. En Pologne et en Russie, la cour parlait français. C’était la langue de la diplomatie. Même aujourd’hui, la traduction en anglais du terme français ‘attaché’ est – ‘attaché’. Il n’y a que la prononciation qui change, et l’utilisation de l’accent aigu, sujet sur lequel les anglophones peuvent se montrer cavaliers, qui fait parfois défaut.

Il est peut-être embêtant de voir triompher l’anglais, mais consolez-vous : cela aurait pu être bien pire. Pour comprendre cela, remontons un petit peu dans l’histoire.

L’année 878 était dure pour l’Angleterre. D’abord, parce qu’elle n’existait pas encore. Ensuite, parce que sur les quatre royaumes qui constituaient ce qui allait devenir le pays, trois étaient tombés sous domination Danoise. Seul résistait le royaume du Wessex, dans le sud et sud-ouest, sous son roi Alfred.

Les Danois, des Thierry Henri avant la lettre, n’étaient pas très fair-play. Ils ont lancé leur attaque peu de temps après Noël. Inadmissible. Personne n’est prêt à se battre au moment des fêtes. On a trop mangé, beaucoup trop bu. Le 6 janvier 878, Alfred subit une défaite cuisante lors d’une bataille autour de son palais à Chippenham. Pendant la fête des rois, vous vous rendez compte. Je n’ai pas pu vérifier s’il eut même droit à la fève. Il dut se retirer et se réfugia dans une région marécageuse, dont il y en avait pas mal à l’époque, le climat étant le même qu’aujourd’hui et le drainage beaucoup moins efficace.

Pendant plusieurs mois il s’occupa à rassembler une nouvelle armée. Enfin, au mois de mai, il lança sa propre offensive et remporta une victoire quasi miraculeuse à la bataille d’Eddington. Le pays fut partagé, entre un nouveau royaume anglais sous Alfred, composé de ses propres territoires du Wessex et l’ancien royaume de Mercie, et le ‘Danelaw’ au Nord et à l’Est, retenu par les Vikings jusqu’au règne d’Athelstan, petit-fils d’Alfred, et premier roi d’une Angleterre enfin unie.

Mais le pas décisif pour l’histoire de la langue fut prise par Alfred lui-même. C’était un grand intellectuel. Il voulut améliorer l’éducation de ses sujets et lança une campagne de distribution des plus grands textes, écrits ou traduits en Anglais. Il traduisit lui-même un texte de St Grégoire.

Il semble que c’est bien à partir de cette époque là que l’anglais devint une langue littéraire, capable d’évoluer vers ce qu’elle est aujourd’hui, le moyen de communication privilégié du monde entier.

Même les Normands, en débarquant presque trois siècles après, ne purent faire du français que la langue de la cour. Petit à petit, l’anglais qui était resté la langue du peuple, se releva et redevint la langue nationale.

Donc, si vous êtes obligés, à contrecœur, d’apprendre l’anglais en France, c’est grâce à la victoire d’Edington obtenu par ce satané Alfred.

Ceci dit, les choses n’auraient guère étaient mieux s’il avait perdu. Il y a de fortes chances que nous parlerions tous Danois aujourd’hui. Et en Suède on dit que le Danois n’est pas une langue mais une maladie de la gorge.

Mieux vaut se résigner à parler anglais.

Monday, 9 August 2010

Le 9 août, anniversaire génant

Deux fois par an, à trois jours d’intervalle, il m’arrive de sourire, d’un sourire un peu jaune j’avoue, de l’histoire de l’intervention occidentale en Iraq.

En 2002 et 2003, les préparatifs à l’invasions ont divisé la Grande Bretagne de fond en comble. Mais si c’était une époque troublante pour le pays, c’est un souvenir personnel qui fait que j’y pense de temps en temps, et sans aucun plaisir.

Nous avons tous connu des moments dont nous nous souvenons avec honte longtemps après. L’un de ces moments, pour moi, s’est produit pendant un diner, entre collègues, dans un petit hôtel du Yorkshire. Nous assistions à un congrès dans la pittoresque ville de Harrogate, mais toutes les chambres de la ville étaient déjà prises. Nous nous sommes donc trouvés dans un village féérique à quelques kilomètres de la ville, tout en pierre grise, caché au fond d’une des vallées vertes, boisées par endroits, ouvertes par d’autres, chacune avec leur petite rivière avec un pont en pierre taillée, vallées qu’on appelle les Dales dans le parler local, nom qu’elles ont donné à cette magnifique contrée, l’une des plus belles du pays.

A table, la discussion a viré sur la question de la guerre dont personne ne doutait plus qu’elle allait éclater d’un jour à l’autre. Nous étions presque aussi sûr de la participation britannique à l’invasion, malgré l’opposition massive dont avait fait preuve le peuple.

Un de mes meilleurs amis était à table avec nous.

‘Nous ne pouvons quand même pas laisser des armes de destruction massive à Saddam,’ disait-il.

‘Mais il n’en a pas,’ répondis-je.

‘Comment le sais-tu ?’

‘Parce que l’ONU est en train d’en chercher, sur le terrain, et n’en a pas trouvé. Ce serait ridicule de partir en guerre pour éliminer une menace qui n’existe pas.’

‘Ben, il faut que tu commences à t’habituer à l’idée que cette guerre, elle se fera, que tu le veuilles ou non.’

Pour une raison que je peux m’expliquer, cette réponse m’a particulièrement irrité, et j’ai répondu avec chaleur, ‘j’espère que les familles des milliers de morts que nous allons faire, surtout de civils mais aussi de nos propres soldats, pardonneront d’avoir agi de façon si légère.’

Malheureusement, je l’ai dit fort – mon ami était à l’autre bout de la table – et par coïncidence, il y a eu un silence dans la petite salle à manger juste au moment où j’ai parlé. Mon hostilité envers un ami proche et loyal fut donc étalé devant tout le monde, collègues et étrangers. Il y eut un instant de gêne partagé par tout le monde dans le restaurant, avant que quelqu’un ait la présence d’esprit de relancer la conversation sur d’autres thèmes.

L’ami en question a sans doute oublié la conversation. Il a de toute façon changé entièrement de position et trouve l’intervention en Iraq injustifiée et profondément contre-productive, comme tout le monde sauf les partisans irréductibles de Bush et de Blair. Mais à chaque fois que je repense à ce moment, je ressens la même gêne de m’être laissé emporter par ma colère, et d’avoir oublié que l’amitié vaut bien l’effort de se taire de temps en temps, même sur des questions qui nous tiennent à cœur. De toute façon ma passion n’allait service à strictement rien.

Et quelles sont les deux dates auxquelles je me souviens plus particulièrement de tout cela ? Et bien, le 6 août et le 9, aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de l’anniversaire des seules deux fois où l’humanité s’est vraiment servie d’armes de destruction massive, en larguant des bombes nucléaires en 1945 d’abord sur Hiroshima et ensuite sur Nagasaki.

La belle ironie est que ce n’était pas les Iraquiens, ni des intégristes musulmans, ni des supposés terroristes qui ont tué les centaines de milliers qui sont morts sur le coup ou des suites du bombardement. Au contraire, c’était précisément les deux pays qui ont mené l’intervention en Iraq pour empêcher l’utilisation de ce genre d’armes par un pays qui n’en avait pas : les Etats Unis appuyés par la Grande Bretagne.

Ce soir je réfléchirai aux paradoxes de la politique internationale. Je me demanderai si les Etats Unis et la Grande Bretagne ne profiterait pas d’apprendre un peu plus de retenue. Mais je me demanderai si moi aussi j’en ai appris, depuis cette lointaine soirée de 2003 dont je ressens toujours une honte si vive.