Monday 9 August 2010

Le 9 août, anniversaire génant

Deux fois par an, à trois jours d’intervalle, il m’arrive de sourire, d’un sourire un peu jaune j’avoue, de l’histoire de l’intervention occidentale en Iraq.

En 2002 et 2003, les préparatifs à l’invasions ont divisé la Grande Bretagne de fond en comble. Mais si c’était une époque troublante pour le pays, c’est un souvenir personnel qui fait que j’y pense de temps en temps, et sans aucun plaisir.

Nous avons tous connu des moments dont nous nous souvenons avec honte longtemps après. L’un de ces moments, pour moi, s’est produit pendant un diner, entre collègues, dans un petit hôtel du Yorkshire. Nous assistions à un congrès dans la pittoresque ville de Harrogate, mais toutes les chambres de la ville étaient déjà prises. Nous nous sommes donc trouvés dans un village féérique à quelques kilomètres de la ville, tout en pierre grise, caché au fond d’une des vallées vertes, boisées par endroits, ouvertes par d’autres, chacune avec leur petite rivière avec un pont en pierre taillée, vallées qu’on appelle les Dales dans le parler local, nom qu’elles ont donné à cette magnifique contrée, l’une des plus belles du pays.

A table, la discussion a viré sur la question de la guerre dont personne ne doutait plus qu’elle allait éclater d’un jour à l’autre. Nous étions presque aussi sûr de la participation britannique à l’invasion, malgré l’opposition massive dont avait fait preuve le peuple.

Un de mes meilleurs amis était à table avec nous.

‘Nous ne pouvons quand même pas laisser des armes de destruction massive à Saddam,’ disait-il.

‘Mais il n’en a pas,’ répondis-je.

‘Comment le sais-tu ?’

‘Parce que l’ONU est en train d’en chercher, sur le terrain, et n’en a pas trouvé. Ce serait ridicule de partir en guerre pour éliminer une menace qui n’existe pas.’

‘Ben, il faut que tu commences à t’habituer à l’idée que cette guerre, elle se fera, que tu le veuilles ou non.’

Pour une raison que je peux m’expliquer, cette réponse m’a particulièrement irrité, et j’ai répondu avec chaleur, ‘j’espère que les familles des milliers de morts que nous allons faire, surtout de civils mais aussi de nos propres soldats, pardonneront d’avoir agi de façon si légère.’

Malheureusement, je l’ai dit fort – mon ami était à l’autre bout de la table – et par coïncidence, il y a eu un silence dans la petite salle à manger juste au moment où j’ai parlé. Mon hostilité envers un ami proche et loyal fut donc étalé devant tout le monde, collègues et étrangers. Il y eut un instant de gêne partagé par tout le monde dans le restaurant, avant que quelqu’un ait la présence d’esprit de relancer la conversation sur d’autres thèmes.

L’ami en question a sans doute oublié la conversation. Il a de toute façon changé entièrement de position et trouve l’intervention en Iraq injustifiée et profondément contre-productive, comme tout le monde sauf les partisans irréductibles de Bush et de Blair. Mais à chaque fois que je repense à ce moment, je ressens la même gêne de m’être laissé emporter par ma colère, et d’avoir oublié que l’amitié vaut bien l’effort de se taire de temps en temps, même sur des questions qui nous tiennent à cœur. De toute façon ma passion n’allait service à strictement rien.

Et quelles sont les deux dates auxquelles je me souviens plus particulièrement de tout cela ? Et bien, le 6 août et le 9, aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de l’anniversaire des seules deux fois où l’humanité s’est vraiment servie d’armes de destruction massive, en larguant des bombes nucléaires en 1945 d’abord sur Hiroshima et ensuite sur Nagasaki.

La belle ironie est que ce n’était pas les Iraquiens, ni des intégristes musulmans, ni des supposés terroristes qui ont tué les centaines de milliers qui sont morts sur le coup ou des suites du bombardement. Au contraire, c’était précisément les deux pays qui ont mené l’intervention en Iraq pour empêcher l’utilisation de ce genre d’armes par un pays qui n’en avait pas : les Etats Unis appuyés par la Grande Bretagne.

Ce soir je réfléchirai aux paradoxes de la politique internationale. Je me demanderai si les Etats Unis et la Grande Bretagne ne profiterait pas d’apprendre un peu plus de retenue. Mais je me demanderai si moi aussi j’en ai appris, depuis cette lointaine soirée de 2003 dont je ressens toujours une honte si vive.

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