Saturday, 21 November 2009

Souvenirs de philosophes

A la radio anglaise l’autre jour j’ai entendu parler Anthony Grayling. Il m’a fait penser à Birkbeck College, l’une des composantes de l’Université de Londres – composante particulièrement importante, puisque j’y ai fait mes études – où il occupe la chaire de Philosophie.

Un de mes amis de fac, étudiant de français comme moi, avait choisi la philosophie comme matière secondaire. Or Birkbeck College se trouve dans un quartier magnifique de Londres, Bloomsbury, le quartier du British Museum et le centre d’un cercle intellectuel d’avant la guerre, le ‘Bloomsbury Set’, qui comptait parmi ces membres les écrivains Virginia Wolf et E.M. Forster et l’économiste John Maynard Keynes – celui dont heureusement on a retrouvé les principes pour faire face à la crise actuelle : sans l’approche Keynesienne que toutes les principales économies ont adoptée, la récession durerait encore plus longtemps et serait encore plus profonde qu’elle ne risque de l’être.

Birkbeck est devenu trop grand pour son bâtiment principal. Certaines sections ont dû déménager dans des maisons du quartier, ces magnifiques maisons des années vingt, grandes, élégantes, la blancheur de la façade bien relevé par le fer forgé noir. La section de philosophie s’était retrouvée dans une maison à quatre étages où chacun des quatre professeurs occupait le sien, organisé en ordre inverti de l’importance hiérarchique : le plus jeune tout en haut, le chef de section au rez-de-chaussée.

Mon ami suivait des cours avec le jeune. Il s’habillait en jeans et veste de
velours. C’était l’époque où les fumeurs n’étaient pas encore devenus les lépreux contemporains ; le prof exigeait que tout étudiant fumeur laisse ses cigarettes et son briquet sur la table devant lui. Il tournait sans cesse dans la salle et à chaque fois que l’envie de fumer le prenait, il s’arrêtait devant un étudiant fumeur et se servait.

Pendant plusieurs semaines, il avait parlé de Descartes, annonçant à la fin que la semaine suivante se serait au tour de Spinoza. Les étudiants étaient donc surpris quand, au prochain cours, le prof s’est remis à parler de Descartes. Après vingt minutes, une étudiante l’a interrompu.

‘Ce n’est pas plutôt de Spinoza qu’il s’agit ?’

Il s’est arrêté et s’est pris la tête dans les mains. Après réflexion, il a répondu, ‘Quand je dis Descartes, je veux dire Spinoza. Et quand je dis Spinoza je veux dire Descartes. Sauf quand, en disant Descartes, je veux vraiment dire Descartes,’ et a continué son cours.

Pour ma part j’avais choisi la littérature italienne en matière secondaire, et je reste toujours content de mon chois, mais c’est quand même avec un certain regret de ne pas avoir connu ce style très particulier d’enseignement.

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